Emmanuel Macron et la CFDT
Le chef de l’État ne pourra pas se passer longtemps de la société
civile et d’interlocuteurs pour des échanges et des négociations. Sinon,
il sera à la peine, en temps de graves difficultés, pour faire preuve
d’autorité sans verser dans l’autoritarisme. Mais qui sont ces éventuels partenaires-adversaires de la société civile ?
Certainement pas les députés supposés l’incarner, sans être issus d’une quelconque force collective. La société civile
trouve sa dynamique dans les mouvements sociaux et culturels, les
associations et les ONG, dans le tissu des organisations
professionnelles, dans les syndicats, dans des mobilisations qui
transforment la vie collective par le bas. Cette dynamique se fait en
protestant mais aussi en recherchant le dialogue, en manifestant mais
aussi en négociant, ou en exerçant des pressions qu’il ne faut pas
confondre avec le recours à la violence.
La CFDT, premier syndicat en France dans le secteur privé
Sous François Hollande, des forces conservatrices (voire réactionnaires), se sont opposées au mariage pour tous ; les « Bonnets rouges »
de Bretagne ont défendu un modèle économique épuisé, et rejeté des
mesures fiscales qui avaient été votées par un Parlement unanime pour
promouvoir un développement écologique.
Plus tard, une forte hostilité, à gauche du pouvoir, s’est exprimée vis-à-vis d’un projet de loi sur le travail
qui préfigurait la réforme envisagée par le gouvernement actuel, les
manifestations laissant un certain espace à la violence des « casseurs ». « Nuit debout », née dans leur prolongement, a ouvert une brèche culturelle et sociale à la manière des Indignados espagnols du M15, mais la décomposition l’a vite emporté.
Les raisons d’exprimer un mécontentement sont nombreuses, mais rares
sont les acteurs capables de structurer une mobilisation durable et
d’incarner de larges pans de la société civile de façon significative ;
et cela sans verser dans la radicalité ou la violence, en recherchant le
dialogue. S’il s’agit de conjoindre travail et démocratie, la
principale force organisée, comme le dit son nom, c’est la CFDT, la Confédération Française Démocratique du Travail.
Premier syndicat en France dans le secteur privé depuis les dernières élections professionnelles, la CFDT tranche dans le paysage actuel.
Sur sa gauche, la CGT
n’est plus tenue par le Parti communiste, lui-même bien faible, et est
en proie à la tentation de la radicalisation. Ses positions excluent
toute réelle négociation, elle pourrait en matière politique attendre
beaucoup de la France insoumise, à moins que ce soit l’inverse. Jean-Luc Mélenchon venant alors surfer sur les flots des logiques hypercritiques qu’elle incarne. Le pouvoir n’a rien à en attendre.
Sur sa droite, la CGT-FO
semble pour l’instant n’avoir rien de bien significatif à demander au
gouvernement, tant son leader, Jean-Claude Mailly, parait s’accommoder
des perspectives qu’ouvre la politique du chef de l’État. Plus qu’un
interlocuteur revendicatif, il se comporte en allié plutôt satisfait,
prêt apparemment à accepter les annonces gouvernementales.
Un syndicat exigeant, ferme et ouvert
La CFDT est au plus loin des logiques du tout ou rien et des
positions de rupture, elle s’est débarrassée il y a longtemps déjà de
ses « coucous » gauchistes.
On l’imagine mal pour autant se coucher pour cinq ans, moyennant
quelques accords préalables. Elle sera un partenaire exigeant tout au
long du quinquennat. Sa direction, ses instances sont, pour toute cette
période, stabilisées. Elle saura donc maintenir un cap fait de fermeté
et d’ouverture. En particulier, elle n’acceptera pas de perdre au niveau
des entreprises les droits que les syndicats avaient conquis.
Le Président Macron a la confiance des dirigeants économiques, les sondages et enquêtes le disent de manière éclatante.
Mais cela justifie-t-il des mesures favorables exclusivement aux chefs
d’entreprise, le coupant de la CGT, mais aussi de la CFDT ? Il peut à
court terme satisfaire les milieux économiques, et tordre le bras à
cette dernière. Mais à long terme ? L’ignorer ou la tenir à distance
pourrait se révéler coûteux pour lui.
Des relations denses, même tendues, avec un acteur responsable qui ne
souhaite en aucune façon qu’il échoue, et qui n’est pas disposé à
s’effacer au profit de forces syndicales et politiques jouant la carte
de la crise, voire du chaos, seront à terme un atout pour le pouvoir, et
non une faiblesse.
Cela vaut dans l’hypothèse de tourmentes économiques ou de blocage
politique majeur, si gouverner de manière verticale, de haut en bas, à
partir des compétences gestionnaires de la jeune garde technocratique qui entoure le président devient problématique.
La société civile, une nécessité pour réussir
Cela vaut tout autant dans la perspective de la réussite. On sait en
effet depuis Tocqueville que la Révolution a été particulièrement active
dans les situations les plus favorables du point de vue économique.
Ainsi, si la croissance et l’emploi sont au rendez-vous, si, comme
disait un leader de la CGT-FO, André Bergeron, il y a du grain à moudre, le pouvoir pourrait être confronté à une société civile remuante.
Le président Macron n’a rien à perdre à créer des rapports confiants avec ceux qui incarnent le mieux l’idéal social-démocrate dans la France d’aujourd’hui.
Un idéal dont il n’a pas toujours été éloigné : il pourra compter sur
la CFDT pour rechercher ensemble des réponses intelligentes, justes et
efficaces à des tensions aiguës.
De nombreux électeurs ont voté pour lui, puis pour les députés de son mouvement, sans ardeur.
Beaucoup adhéreront à sa politique s’il relance l’économie et redore le
blason européen et international de la France. Mais aussi, et surtout,
s’il sait reconnaître et entendre les éléments les plus constructifs de
la société civile.
Sa légitimité, sur la longue distance, sa crédibilité passeront par
la confiance qu’il aura redonnée et par la justice sociale qu’il aura
aidée à bâtir. Étouffée, la société civile se repliera sur elle-même,
inquiète, ou se confiera aux extrêmes. Mise en mesure de respirer, elle
contribuera à la réussite du pouvoir. Et grâce pourra alors être rendue
au chef de l’État.